vendredi 10 décembre 2010

La France devrait accueillir bientôt un nouvel ambassadeur d'Argentine : Aldo Ferrer [ici]

La nomination doit encore être approuvée par le Sénat avant d'être officielle mais l'on s'achemine vers cette solution pour remplacer l'actuel Ambassadeur, Monsieur Luis Ureta Saenz Peña, démissionnaire pour des raisons strictement personnelles depuis plusieurs mois et maintenu néanmoins en poste à Paris le temps de lui trouver un successeur.

Luis Ureta Saenz Peña avait été nommé en 2007 par la Présidente pour ses fortes relations avec les secteurs économiques français, qui est l'un des plus importants investisseurs européens actuels en Argentine, après l'Espagne qui naturellement demeure un partenaire historique et à part : relations privilégiée de la Banque Centrale de la République Argentine avec la Banque de France sur le plan monétaire, présence dans tout le pays de Carrefour et de Casino pour la grande distribution, de Peugeot-Citroën (dont l'actuel ambassadeur avait été PGD de la filiale argentine) et de Renault pour l'industrie automobile (le secteur industriel le plus important du Cône Bleu) (1), de Total (son concurrent local, le pétrolier argentin YPF, filiale à 84% de l'espagnol Repsol, vient de découvrir un énorme gisement de gaz naturel en Patagonie auquel le groupe français ne devrait donc pas avoir accès) etc... Et puis Paris est aussi le siège du Club de Paris, le principal créancier de l'Argentine, dont on sait qu'elle est lourdement endettée... Le Ministre de l'Economie argentin, Amado Boudou, est d'ailleurs actuellement en route vers la France pour une nouvelle négociation avec le Club de Paris.

A 66 ans, Luis Ureta Saenz Peña aspire à redevenir un simple particulier. Notre conflit sur la réforme des retraites l'aurait-il incité à quitter notre soit disant belle capitale ?...

Photo de  Aldo Ferrer, par Valter Campanato pour Agencia Brasil

Son remplaçant devrait donc être le brillant économiste et ancien ministre, Aldo Ferrer. Ce radical proche de l'UCR (parti dont était issu Raúl Alfonsín, le président du retour à la démocratie le 10 décembre 1983) a exercé ses fonctions ministérielles sous deux présidents anticonstitutionnels, pendant 8 mois, d'octobre 1970 à mai 1971. Etonnant, non ? Cette participation à un gouvernement dit de facto en droit argentin n'a jamais empêché la gauche nationaliste et pro-constitutionnelle (UCR et PJ tout ensemble) de témoigner beaucoup d'estime à cet homme qui a laissé de son passage au Ministère des Finances et de l'Economie un très bon souvenir. Ce qu'en Argentine on peut marquer d'une pierre blanche.

Au retour de la démocratie, et donc sous une présidence radicale, il a été nommé PDG du Banco de la Provincia de Buenos Aires, une banque publique qui est l'un des plus gros acteurs du marché bancaire argentin, de 1983 à 1987. Depuis 2006, il siège au Conseil d'administration d'Enarsa, une entreprise nationale de prospection et de recherche pétrochimique créée en 2004, sous le mandat du président Néstor Kirchner (2003-2007), pour compenser la perte pour l'état argentin d'YPF, le groupe créé par le président Yrigoyen dans les années 1920 et privatisé dans la grande vague de libéralisation à outrance qui marqua le mandat de Carlos Menem.

Aldo Ferrer est l'un des grands économistes argentins et toute son oeuvre théorique et son action pratique sont connues et reconnues pour leur qualités et les thématiques étudiées : les stratégies politiques et économiques alternatives au tout-libéral, les effets pervers de la mondialisation et les solutions à mettre en place pour y remédier. Comme Nicolas Sarkozy déclare tout le temps qu'il veut et qu'il exige que "nos emplois restent en France" et que ceux-ci n'ont pas l'air d'avoir tellement envie de lui obéir, allez savoir si de bonnes inspirations ne lui viendront pas un jour prochain de la rue Cimarosa (Paris, 16ème arrondissement) !

Aldo Ferrer a 83 ans, ce qui ne manque pas de rendre ce choix étonnant (mais en phase avec la réforme des retraites, on n'y revient toujours !). Depuis 2009, il est le directeur de la rédaction de Buenos Aires Económico, le grand quotidien économique et financier argentin.

Pour en savoir plus :
lire l'article de La Nación qui annonce cette nomination avant son officialisation (édition de ce matin)
se connecter au site de Enarsa
se connecter au site de Buenos Aires Económico (vous y constaterez que la rédaction n'est pas tendre avec les propos xénophobes de Mauricio Macri et sur sa gestion des émeutes de Villa Soldati, voir mes autres articles de ce jour sur le mot-clé Actu ou Economie).
se connecter au site de l'Ambassade d'Argentine à Paris (qui bien entendu ne peut pas encore parler de ces changements à sa tête mais vous pourrez vous faire une idée de son activité publique, notamment en matière de culture, et vous plonger une dernière fois dans l'ambiance Bicentenaire, dont ce sont les ultimes semaines).

(1) Mais Buenos Aires Económico annonce néanmoins aujourd'hui qu'un nouvel avionneur pourrait bientôt naître en Argentine. L'Argentine avait eu, sous Perón notamment, une industrie aéronautique consistante mais encore modeste, qui a été progressivement détruite lorsque les Etats-Unis ont pris le contrôle du pays à partir de la chute du général (septembre 1955). De son côté, le Brésil dispose désormais de son propre avionneur civil et militaire, Embraer, qui est en train de tailler des croupières à Boeing et à Airbus. De nombreuses compagnies d'aviation y compris européennes, comme Air France, lui achète des petits porteurs pour des vols intérieurs ou intra-européens. Aerolineas Argentinas, nouvellement (re) nationalisée, s'équipe elle aussi en porteurs commerciaux Embraer. Et BAE nous annonce donc qu'un prototype d'avion de conception et de fabrication entièrement argentine devrait voir le jour en 2013. Ce prototype aura pour fonction de remplacer un avion d'entraînement militaire et de permettre au pays de renouer avec cette activité industrielle sur son propre sol et avec des capitaux nationaux. Voir l'article de BAE pour plus d'informations.
Aujourd'hui, à côté de l'industrie automobile dépendant entièrement de capitaux étrangers, européens, japonais et nord-américains, l'Argentine dispose, dans les domaines à haute valeur ajoutée, d'un joli secteur national de fabrication de machines agricoles, une métallurgie légère avec notamment la fabrication d'électroménager familial de marque nationale (vendu notamment dans les magasins Frávega), une industrie agro-alimentaire en développement grâce à des entreprises comme La Serenissima, Sancor (produits laitiers) et les supermarchés Coto (qui ont intégré toute la chaîne de la fabrication des produits sous leur propre marque jusqu'à la vente au détail dans leur réseau), un secteur férocement national qui empêche encore les géants comme Danone et Nestlé d'entrer vraiment sur le marché comme en pays conquis. Le reste est à valeur ajoutée moyenne à faible, comme le travail du cuir qui reste une activité bien visible, notamment dans le quartier de Nueva Pompeya à Buenos Aires.