Les émeutes de Villa Soldati et les événements connexes, comme l'occupation, par des sans-logis en général étrangers, de lieux privés ou publics inoccupés, donnent lieu actuellement à des règlements de compte sévères entre les deux Gouvernements, celui de la Nation et celui de la Ville de Buenos Aires, chacun situé à une extrémité de l'échiquier politique argentin et chacun prêt à en découdre avec l'autre dans les batailles électorales nationales et provinciales qui s'annoncent en 2011.
Página/12, toujours désireux de démontrer que les événements ont été provoqués par des opposants au Gouvernement national, voire des mouvements séditieux anti-démocratiques (il y en a encore beaucoup en Argentine, malgré les 27 ans de démocratie ininterrompue depuis décembre 1983), sort ce matin un article sur les hommes qui ont été arrêtés par la Police et déferrés devant la Justice et qui auraient organisé ceraines occupations illégales dans le quartier de Villa Lugano, limitrophe de Villa Soldati, notamment l'occupation d'un club de foot dont les membres ont très mal réagi à cette situation (1).
Mais c'est surtout la nouvelle ministre de la sécurité, Nilda Garré, qui a lancé les hostilités en accusant directement le Gouvernement de la Ville de Buenos Aires d'avoir laissé pourrir la situation en refusant d'y apporter la moindre solution. Elle a même accusé l'un des hommes arrêtés par la Police d'être un militant du PRO, le parti de Mauricio Macri, le Chef du Gouvernement de Buenos Aires.
La conférence de presse de la ministre, dont le premier acte, aussitôt après sa prestation de serment, aura été de changer toute la direction de la Police Fédérale la semaine dernière (2), est commentée dans des sens contradictoires par la presse politique aujourd'hui, selon que la rédaction soutient la majorité ou l'opposition. Et la polémique est d'autant plus forte que deux membres de la majorité nationale, deux péronistes, viennent de manifester leur volonté de se porter candidats l'année prochaine au poste de Chef de Gouvernement de la Ville Autonome de Buenos Aires. Or ces deux candidats sont deux poids lourds de la majorité actuelle : le Sénateur Daniel Filmus, au prestigieux passé de Ministre de l'Education et de militant des droits de l'homme (souvenez-vous, c'est lui qui avait présenté la candidature de Abuelas de Plaza de Mayo au Comité Nobel d'Oslo, voir mon article n° 1300 du 21 avril 2010 sur cette candidature) et le Ministre Amado Boudou, jeune premier et joli palmarès économique, en tout cas à ce qu'il annonce (et Dieu sait si l'opposition le conteste)... mais favorable (pour cette raison-là ?) à une surveillance des mails des fonctionnaires de son ministère (et ça, ça ne passe pas bien !).
Dans un tel climat électoral et avec la solide réputation de corruption que la magistrature argentine traîne derrière elle depuis les années 1880, il sera sans aucun doute difficile, pour ne pas dire impossible, de savoir ce qu'il s'est réellement passé autour et pendant les émeutes sanglantes d'il y a 15 jours. Quoi que fassent la police et la justice aujourd'hui dans ces dossiers, leurs conclusions seront systématiquement contestées par la partie incriminée, qu'il s'agisse du Gouvernement ou de l'opposition. Peut-être pourra-t-on y comprendre quelque chose dans plusieurs années. Une seule chose est presque sûre à l'heure qu'il est : la proximité de ces événements avec la mort de Néstor Kirchner n'est pas une pure coïncidence et leur exploitation politique actuelle est bien liée à la tentative de déstabilisation ou de renforcement du pouvoir actuel et du parti politique qui l'appuie, le Partido Justicialista, dont Néstor Kirchner était l'homme fort jusqu'à sa disparition et qui court désormais le risque de se déchirer entre rivalités de personnes et sous-courants politiques (voir mes articles sur la mort de Kirchner et ses suites au niveau national et continental). Déjà Daniel Scioli, le Gouverneur de la Province de Buenos Aires, l'ancien Vice-Président de Kirchner et son bras droit depuis la fin 2007, s'est vu très violemment pris à parti par d'autres caciques du PJ. La Présidente nomme à plusieurs hautes charges de l'Etat des personnalités originaires de la Province natale de son défunt mari, la province de Santa Cruz dont la fidélité au souvenir de Kirchner est à toute épreuve et pour longtemps. Bref, on sent bien que du côté du Gouvernement, on a senti passer le vent du boulet et que du côté de l'opposition, la situation n'est pas brillante. Mauricio Macri a répondu à la ministre en rejetant sur le Gouvernement central la responsabilité de toute opération de maintien de l'ordre, ce qui ressemble fort à une certaine dérobade : si le maintien de l'ordre est entièrement du ressort du fédéral, pourquoi Macri a-t-il tant insisté pour que la Ville de Buenos Aires dispose de ses propres forces de police, cette toute récente Police Métropolitaine qui ne semble pas avoir été très efficace face aux émeutiers ?
Pour en savoir plus (ou en tout cas pour essayer)
Lire l'article de Página/12 sur la conférence de presse de Nilda Garré
Lire l'article de Página/12 sur les hommes arrêtés et les liens supposés de l'un d'entre eux avec le PRO
Lire l'article de Clarín sur la conférence de la ministre et l'enquête policière
Lire l'article de La Nación sur la conférence de presse ministérielle
Lire l'article de La Prensa sur la conférence de presse de la ministre
Lire l'article de La Prensa sur la réponse de Mauricio Macri
Lire la dépêche de Telam sur la conférence de presse de Nilda Garré (avec la vidéo d'un extrait de ses déclarations : le ton est maîtrisé mais le verbe est offensif).
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(1) Ce qui n'a rien de surprenant quand on sait que dans ces quartiers pauvres, le club est un des rares lieux où les habitants peuvent trouver des installations décentes en état de marche, qu'il est donc un lieu de sociabilité d'une très grande importance, surtout à l'heure où s'approchent les vacances d'été. Si les squateurs ont bien été manipulés comme c'est possible, les manipulateurs savaient pertinemment que l'occupation de ce club et de ses installations (locaux et terrains de sport) ne pouvait que dégénérer dans le climat insurrectionnel qui régnait alors dans les parages. Dans ce cas, la cible a été choisie à dessein pour qu'il y ait du grabuge. Voir mes articles sur les émeutes de Villa Soldati.
(2) La Police Fédérale avait participé au tout premier acte de maintien de l'ordre, celui qui s'était conclu par les deux premiers morts, un jeune maçon paraguayen et une jeune femme bolivienne. On ne sait toujours pas qui a tiré ce soir-là du 22 mm sur les manifestants, puisque les policiers sont armés de calibres 9 mm, avec des munitions en caoutchouc, jamais du plomb. La Police Métropolitaine était alors aux côtés de la Fédérale dans cette opération de maintien de l'ordre. Dès le lendemain, la Métropolitaine devait affronter seule les émeutiers, le Gouvernement national ayant refusé de prêter une nouvelle fois ses effectifs, peut-être de peur que la Fédérale soit impliquée dans de nouveaux incidents mortels, peut-être pour mettre un peu plus dans l'embarras le Gouvernement Portègne, dont la Police est très récente (elle n'a qu'un an d'existence), fort peu professionnelle et donc fort mal aguerrie à des situations aussi périlleuses. Dès le lendemain, les journaux de la majorité rappelaient le triste et court passé de la Métropolitaine et ceux de l'opposition mettaient en doute les états de service de la Fédérale. Les changements à la tête de la Police Fédérale permettent donc à la ministre sinon de régler effectivement un problème bien réel, du moins d'envoyer à l'opinion publique le signal de sa détermination d'autant plus fortement qu'il ne se passe rien à la tête de la Métropolitaine, dont les responsables politiques les plus élevés, jusqu'au ministre lui-même, sont maintenus en place alors qu'ils sont trempés jusqu'aux os dans un épouvantable scandale d'écoutes téléphoniques illégales et menacés pour cela de prison ferme.