Il y a 15 jours, le quotidien La Nación dressait un palmarés des meilleurs Pan dulces de la capitale argentine, ce gros gâteau brioché qui descend en droite ligne du Panetonne italien et cousine allègrement avec la Couronne des Rois bordelaise et la pompe à l'huile du gros souper provençal (voir mon article du 8 décembre 2010).
Aujourd'hui, La Nación s'intéresse au turrón, la spécialité levantine espagnole (1), dont tous les Espagnols se régalent à Noël et dont 4 variétés principales sont passées d'Espagne à la table de Noël argentine (par 40° à l'ombre à Buenos Aires) : le turrón guirlache (sorte de nougatine faite à base d'amandes entières), le turrón blando de Jijona (une confiserie à la consistance pâteuse faite d'amandes en poudre, de blanc d'oeuf et de sucre, cousine du halva turc, où la poudre de sésame occupe la place des amandes), le turrón duro de Alicante (que l'on connaît aussi sous sa forme de torta imperial, proche du nougat dur de Montélimar) et enfin le turrón de yema, où la poudre d'amande est mélangée à du jaune d'oeuf (yema) en plus du blanc d'oeuf et du sucre. Les autres existent aussi mais ils se présentent comme plus fantaisistes (ceux au chocolat, au praliné, au whisky, aux cerises...). Jetez donc un coup d'oeil sur l'article de La Nación et vous vous retrouverez pour une fois en pleine Espagne : sur les 5 produits recommandés par le quotidien, il y a 4 marques péninsulaires. Ces produits sont très chers et pour cause : ils sont directement importés de la vieille Europe. Seule l'abbaye Sainte Scholastique de Victoria, dont La Nación recommandait déjà l'excellent Pan Dulce, qu'on peut acheter dans une boutique monastique du quartier de Recoleta, fabrique artisalement un turrón argentinisé, qui tout en suivant les techniques ancestrales ibériques, remplace les amandes (que les Espagnols importent désormais massivement de Californie) par des cacahuètes (qu'on appelle mani en Argentine).
Parmi les produits spécifiques de Noël, autant le Pan Dulce et le cidre se sont adaptés à leur sol d'adoption et se sont différenciés des produits d'origine en étant fabriqués sur place, autant le turrón est resté, lui, totalement espagnol. Vous trouverez donc en Argentine des turrones Delaviuda, Doña Jimena, 1880 et El Abuelo (c'est le palmarés de La Nación). J'en ai personnellement vu (hors saison, en août) d'une autre marque très répandue aussi, El Almendro.
Et pendant ce temps, Clarín, dans son supplément Ollas y Sartenes (Marmites et poêles), nous donne une recette de pan dulce à faire soi-même. Excellente recette mais difficile à réussir sous la vague de froid polaire qui couvre l'Europe en ce moment : le Pan Dulce est une pâte levée, pétrie à la levure de bière. Je vous la traduis à ma façon (2) :
Faire d'abord une poolish en mélangeant 60 grammes de farine (type 45 ou 55), 60 grammes de levure fraîche (en France, choisir de la levure de boulangerie fraîche ou lyophilisée), 55 cc d'eau tiède et 1 cuillérée de sucre en poudre (ou un ou deux morceaux de sucre). Laisser pousser à l'abri de la poussière dans un endroit chaud.
Pour la pâte, mélanger 600 gr de farine de blé (type 45), 150 gr de beurre (mou, vu les températures qu'il fait au bord du Río de la Plata en ce moment !), 180 gr de sucre en poudre, 6 oeufs, 1 cuillère à café d'eau de fleur d'oranger et le zeste râpé de 2 citrons (non traités). Ajouter la poolish poussée et pétrisser puis laisser pousser la pâte au moins une demi-heure, à l'abri de la poussière et dans une pièce chaude (il faut une température d'au moins 22° et c'est vraiment un minimum minimorum).
Après la première pousse, rabattez la pâte et pétrissez-la à nouveau puis mêlez-y 40 grammes de fruits confits (Clarín vous conseille de les hâcher, mais d'autres recettes vous diront de les intégrer entiers en les ayant farinés au préalable pour les empêcher de tomber au fond du moule au moment de la cuisson), 80 gr de fruits secs (hâchés à nouveau pour Clarín, entiers pour d'autres pâtissiers) (3) et 30 gr de cerises confites égouttées et macérées préalablement dans du marasquin (une liqueur italienne, ça ne vous aura pas échappé).
Une telle quantité vous permettra de faire deux pains de 500 gr chacun environ.
Remettre la pâte à lever, au chaud et à couvert. Rabattez-la une seconde fois et mettez-la dans un moule que vous aurez chemisé de papier cuisson qui vous évitera de le beurrer lourdement (le moule à Pan dulce est traditionnellement rond, haut et droit). La pâte doit remplir la moitié de la contenance du moule. Laisser monter une troisième fois jusqu'à ce que la pâte atteigne presque le bord du moule (mais laissez-vous de la marge, sinon la montée va se poursuivre dans le four et votre Pan dulce va s'effondrer sur les bords).
Préchauffez votre four entre 180 et 200° (comme pour une brioche, du pain ou une pizza).
Sur le dessus des pains, dessinez délicatement une croix au couteau ou au rasoir. Ces entailles vont guider la montée de la pâte au début de la cuisson et éviter au dessus du gâteau de se déchirer d'une manière peu élégante.
Faites cuire pendant 50 minutes (un peu moins pour un four à chaleur tournante).
Pour décorer chaque pain, il est d'usage de passer sur le dessus un sirop de sucre glace et d'eau (ou de blanc d'oeuf) et d'éparpiller par dessus des amandes ou des cerises confites.
Se déguste froid.
Pour en savoir plus :
lire l'article de La Nación sur le turrón
(1) à ne pas confondre avec le touron fabriqué dans le sud-ouest de la France, à Bayonne notamment. C'est proche mais c'est différent malgré tout.
(2) Vous disposez d'une autre recette, rédigée autrement, dans Barrio de Tango, recueil bilingue de tangos argentins, éditions du Jasmin, mai 2010, page 178.
(3) Par fruits secs, il faut entendre raisins secs (de la couleur que vous préférez), amandes, noix, noisettes (recette initiale apportée par les immigrants italiens). Vous pouvez américaniser le pan dulce en y introduisant des noix spécifiques au Nouveau Monde : noix de cajou et du Brésil. En revanche, la noix de coco n'a pas trouvé sa place dans la recette, sauf si vous voulez à toute force jouer la fantaisie et l'originalité.