Hier, à Río Gallegos, en hommage à Néstor Kirchner, l'ancien Président de la République décédé le 27 octobre 2010, le jour même où avait lieu le recensement du Bicentenaire, ont été publiés les premiers chiffres officiels. Ainsi l'Argentine comptait-elle ce jour-là 40 091 359 habitants (il est probable que l'illustre disparu ne figure pas dans ce relevé, puisque de toute manière, il n'a pas eu le temps de faire son devoir civique : cela donne à la précision de ce 9 final un caractère tout à la fois dérisoire et très émouvant, comme beaucoup de choses en Argentine).
Cette population de plus de 40 millions d'individus vit dans 14 297 149 logements. Certes, beaucoup de ces logements sont plus vastes qu'en Europe mais tout de même, cela fait beaucoup de monde dans peu d'habitations. En Argentine, la famille large continue plus qu'en Europe à partager le même toit. Parce que c'est difficile d'avoir un logement à soi, d'avoir de quoi acquitter un loyer et parce qu'il y a moins de familles monoparentales, moins de personnes isolées (dans toutes les classes d'âge) et un taux de divorce plus bas qu'en Europe occidentale.
Ces chiffres montrent une croissance d'un peu plus de 10% par rapport au recensement antérieur, qui datait de 2001 (2). La Province qui a vu le plus croître sa population est précisément celle de Santa Cruz, au sud, en Patagonie, la province dont la capitale est Río Gallegos, la province natale de Néstor Kirchner (+ 38,4% en 9 ans). Cette forte hausse est sans doute due à la politique menée par Néstor Kirchner à la Casa Rosada entre 2003 et 2007, puisqu'il a multiplié alors les actions qui ont revalorisé sa région natale, comme le rachat d'un petit pourcentage du capital de la société pétrolière YPF, qui n'est plus qu'à 84% aux mains de l'espagnol Repsol, les 16 autres pour cent ayant été rachetés par les Provinces de Patagonie (la zone géographique où se trouvent les gisements d'énergie fossile) et par l'Etat fédéral, et la construction de centrales électriques thermiques nationales et de champs éoliens.
Et sur ces plus de 40 millions d'Argentins, un tiers vit à Buenos Aires et dans le Gran Buenos Aires, cet anneau qui la ceinture à 70 km à la ronde, du nord au sud, en passant par l'ouest. Pourtant la population de Buenos Aires stricto-sensu n'a grandi que de 4,1% (ce qui est sans doute dû à la hausse des prix de l'immobilier dans la capitale fédérale, à la location et à l'achat, hausse des prix qui est due en grande partie à l'attractivité de Buenos Aires, qui est la capitale économique du pays et de la région, et, pour une moindre partie sur l'ensemble de la période considérée, 2001-2010, à la politique menée depuis 2007 par Mauricio Macri, qui se garde bien de faire réguler le marché en faveur des classes populaires).
Página/12 (une de ce matin en illustration ci-dessus) et La Nación ont illustré leurs articles de très beaux schémas. Je prends la liberté de reproduire ci-dessous celui qui illustre la une du site de La Nación : pour des Francophones (y compris si vous ne parlez pas espagnol), je le trouve on ne peut plus clair et facile à lire (on mettra à part les deux flèches quelque peu tautologiques concernant la mortalité qui baisse et l'espérance de vie qui augmente : comment voulez-vous qu'il en soit autrement ?).
Toujours est-il que la mortalité a baissé, ce qui est une bonne nouvelle après celle (contraire) de la dégradation désastreuse de l'espérance de vie en bas-âge à Buenos Aires depuis 3 ans (voir mon article du 14 décembre 2010 à ce propos). Les chiffres annoncés hier sont provisoires puisque toutes les données n'ont pas encore été analysées. Ainsi sait-on qu'il y a une notable amélioration au terme de la vie mais rien n'a été annoncé quant à la natalité et à l'effet de l'immigration. Et d'autres données sont encore attendues avec intérêt par les historiens et les sociologues : le nombre des descendants d'Africains, avec cette douloureuse et lancinante question de la disparition des noirs en Argentine, laquelle comptait environ un tiers de noirs en 1810, au moment de la Révolution de Mai, et le nombre d'Amérindiens ou descendants d'Amérindiens, autre plaie de l'histoire nationale, dont les héros politiques et militaires de la fin du 19ème siècle (le Général Rocca en tête) ont décrété et conduit le massacre quasi-systématique des populations autochtones dont les survivants ont été repoussés toujours plus au sud et plus au nord du pays, dans des régions difficiles pour l'agriculture, avec l'inoculation de germes racistes dans le reste de la population à travers l'enseignement de l'histoire officielle à l'école élémentaire jusqu'à il y a encore quelques années. On a vu, au cours des 15 derniers jours, que ce racisme enfoui, presque inconscient et souvent de bonne foi, était prompt à se réveiller contre les Indiens (voir mes articles sur les récentes émeutes de Villa Soldati).
Croquis La Nación
Pour une fois, les chiffres de l'INDEC sont repris par la presse tels quels, sans la mise en doute habituelle et les railleries ordinaires contre l'institut de statistiques officiel dont je vous invite pour une fois à aller directement consulter les communiqués (depuis le temps que je vous en parle dans mes articles de la rubrique Economie, sans jamais vous y renvoyer !) (3).
Pour aller plus loin :
lire l'article de Clarín
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(1) A l'intention de mes lecteurs hispanophones qui, malgré leur amour de la langue de Molière, ne connaîtraient pas par coeur l'oeuvre de Jacques Dutronc, un auteur-compositeur-interprète de chez nous : ce titre est une paraphrase du refrain de l'un des gros succès des années 1970 du susdit chanteur, intitulé Et moi et moi et moi et dont voici l'inénarrable début : "Sept cent millions de Chinois / Et moi, et moi, et moi / Avec ma vie, mon petit chez-moi / Mon mal de tête, mon point au foie / J'y pense et puis j'oublie / C'est la, c'est la vie !". En France, la citation de cette chanson revient à chaque fois qu'il est question de statistique démographique dans la presse écrite et audiovisuelle, sur Internet et dans les conversations.
(2) Les chiffres du recensement 2001 (l'année de la faillite du pays) sont ceux que je présente dans Barrio de Tango, recueil bilingue de tangos argentins, ed. du Jasmin, dans l'esquina intitulée Combien faut-il mettre de bougies ?, à la page 33. Bien entendu, je ne disposais pas encore des chiffres actuels, qui figurent maintenant dans les infos pratiques sur Buenos Aires en partie centrale de la Colonne de droite de ce blog.
(3) Vous allez pouvoir constater qu'avec ses faibles moyens et dans un pays où à peu près la moitié de la population évite de donner de l'information aux pouvoirs publics (on ne sait jamais ce que l'Etat peut en faire), cet institut abat un sérieux boulot !