Après son spectacle sur le tango, la psychanalyse et l'utilisation d'Internet l'été dernier; intitulé Arrobaleros, avec la chanteuse Silvina Gregori, qu'ils donnaient encore il y a 15 jours (voir mon article du 28 janvier 2010), l'humoriste Rudy (Marcelo Rudaeff), dont je vous commente de temps à autre la vignette dialoguée quotidienne de la une de Página/12, reprend à Buenos Aires un one man show qu'il a créé en octobre 2008 et où il fait rire sur la technologie, le couple, la psychanalyse (il l'a pratiquée lui-même côté fauteuil) et les régimes amincissants, dont il vient de tester l'efficacité. "Je l'ai fait pour divorcer d'avec mon ventre", explique-t-il à sa collègue et consoeur de la rédaction, María Daniela Yaccar, qui l'interviewe dans les pages culturelles de l'édition de ce matin.
Photo extraite du site de Tandil
Cela fait huit ans maintenant que l'humoriste monte sur les planches. Ce soir, il donne la première portègne de cette version 2010 du spectacle au Café Monserrat, San José 524, et en janvier, il continuera à The Cavern, un café de Buenos Aires consacré à la gloire des Beattles (Complezo La Plaza, Corrientes 1660), où il avait fait la toute première de ce show. Le spectacle a déjà été donné dans l'intérieur du pays (la photo est tiré du site de la ville bonaerense de Tandil, où il s'est produit en mars, site qui m'a fourni une autre citation que je vous donne en bas d'article) (1).
Dans ce one man show qui promet des soirées rien moins que sinistres à en croire les réparties loufoques dont l'interview est semée, Rudy invitera chaque soir une personnalité différente et Silvina Gregori en sera.
Quelques blagues en attendant le Père Noël (en version bilingue) :
“Yo me sentía bien y una vez me picó un mosquito y se murió de diabetes”
Rudy, Página/12
Moi je me sentais bien et un jour, un moustique m'a piqué. Il est mort du diabète.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
“Cuando era chico la gente se conocía en un baile, en una fiesta, en la facultad, en el cine. Ahora se conoce en l'espace de chat. Y el ‘conoce’ lo pondría entre signos de pregunta, porque estás hablando con alguien que no sabe quién sos y vos no sabés quién es, en un lugar que no existe”
Rudy, Página/12
Quand j'étais petit, les gens se rencontraient au bal, lors d'une fête, à la faculté, au cinéma. Maintenant, ils se rencontre dans une salle de chat. Et le "se rencontrent", je le mettrais entre guillemets parce que tu es en train de parler avec quelqu'un qui ne sait pas qui tu es et toi tu ne sais pas qui il est, dans un lieu qui n'existe pas. (2)
(Traduction Denise Anne Clavilier)
“En el escenario me presento como un neurótico. Les digo: ‘Ustedes se están preguntando cómo es que un neurótico llegó a ser psicoanalista, y es precisamente por eso: sólo un neurótico se banca escuchar a otro neurótico”
Rudy, Página/12
Sur scène, je me présente comme un névrosé. Je vous dis : Vous êtes là à vous demander comment est-ce qu'un névrosé parvient à devenir psychanalyste et c'est précisément pour ça : il n'y a qu'un névrosé pour se taper d'écouter un autre névrosé.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
“Vengo de una familia de mucho sentido del amor... digo, del humor”, se ríe Rudy de su acto fallido. “Mi abuelo era violinista y peluquero de barrio. Un día llegó tarde al trabajo porque se había quedado dormido, lo esperaba un cliente y le dijo: ‘Tenía que ir a cortarle el pelo a Perón’. Mi mamá, odontóloga, tenía el fichero de los pacientes ordenado por apodos y no por apellidos, y a veces en idish.”
Rudy, Página/12
"Je viens d'une famille qui avait beaucoup de sens de l'amour... je veux dire de l'humour", et Rudy rit de son acte manqué. "Mon grand-père était violoniste et coiffeur de quartier. Un jour, il arriva en retard au travail parce qu'il avait dormi trop longtemps, un client l'attendait et il lui dit : "Il fallait que j'aille couper les cheveux à Perón". Ma mère, dentiste, tenait le fichier de ses patients par ordre de surnom et non par ordre de patronymes, et parfois en yiddish".
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Et à la question de la journaliste sur ce que signifier détecter l'inconscient dans une nouvelle ou un fait (il affirme que c'est là sa spécificité comme humoriste), Rudy répond par un exemple :
En 1989, cuando asumió Carlos Menem, había una discusión sobre si sus medidas eran peronistas o no. El le dijo a un periodista: “Yo nací peronista y me voy a morir peronista”. La interpretación que hicimos con Daniel ese día es la siguiente: Menem dijo “nací peronista y voy a morir peronista”. Y otro le dice: “¿Y mientras?”. En el discurso se da por obvia una cosa que en realidad no lo es. Hay una verdad en lo que se dice y una parte que no es verdad. Como humorista, uno muestra eso, como analista lo preguntaría.
Rudy, Página/12
En 1989, quand Carlos Menem a prêté serment comme président de la République, il y avait une discussion pour savoir si les mesures qu'il prenait étaient péronistes ou non (3). Lui a dit à un journaliste : Je suis né péroniste et je vais mourir péroniste. L'interprétation qu'on a faite avec Daniel [Paz] ce jour-là, c'est la suivante : Menem dit : Je suis né péroniste et je vais mourir péroniste. Et l'autre lui dit : et entretemps ? Dans le discours, une chose se fait passer pour évidente et en réalité, elle ne l'est pas. Il y a une vérité dans ce qui se dit et une partie qui n'est pas la vérité. Comme humoriste, on met ça en lumière, comme analyste, on le renverrait sous forme de question. (4)
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Puis questionné sur le lien qu'il fait entre son travail de comédien sur les planches et son travail d'humoriste au sein de la rédaction du journal, il répond :
En el unipersonal no cuento historias ni eventos: es humor de observación. La diferencia es que en el diario es un trabajo en equipo. Hay que pensar de a dos, concederse mutuamente. Se logran consensos interesantes. Por otro lado, el espacio del diario es más público: tu chiste lo va a leer un montón de gente que no sabés quién es. El monólogo tiene cierta intimidad. Por eso hasta pienso en la ropa: me gusta que sea bonita pero que remita a que estamos charlando. Hay una actitud de confesión, un diálogo.
Rudy, Página/12
Dans le one man show, je ne raconte pas d'histoire ou d'événement : c'est de l'humour d'observation. La différence est qu'au journal, c'est un travail d'équipe. Il faut penser à deux, se faire des concessions mutuelles. On obtient des consensus intéressants. D'un autre côté, l'espace du journal est plus public : ta blague, il y a un tas de gens qui va la lire qui ne sait même pas qui tu es. Le monologue a une certaine intimité. C'est pour cela que je pense même au costume : j'aime bien qu'il soit chic mais qu'il renvoie au fait que nos sommes en train de bavarder. Il y a une attitude de confidence, un dialogue.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Le spectacle s'intitule Rudy Vicepresidente ou, en pour faire plus snob en anglais, Rudy for Vice President. C'est à 21 h ce soir et jeudi 30 décembre 2010.
Entrée : 40 $ (comptez le repas en plus comme toujours dans ces cas-là mais le prix moyen est dès plus modeste : environ 8 $ par personne).
Le spectacle dure environ 80 minutes.
Pour en savoir plus :
lire l'intégralité de l'article de Página/12
visiter le site du Café Monserrat.
(1) Le spectacle s'intitule Rudy for Vicepresident et il faut savoir que la personnalité et le comportement de l'actuel vice-président argentin sont quelque peu particuliers et entraînent des incidents politiques assez nombreux. “Me dicen ‘¿para que querés ser vicepresidente, si los vicepresidentes no hacen nada?’ ¡Por eso, justamente por eso!” - On me dit : pourquoi est-ce que tu veux être vice-président puisque les vice-présidents ne fichent rien ? - Pour ça, justement, pour ca !
En Argentine, en fait le Vice Président assume les fonctions présidentielles à chaque fois que le chef de l'Etat est en voyage à l'étranger ou indisposé par sa santé et préside le Sénat où il ne vote que dans un seul cas, lorsque le scrutin montre une exacte égalité de voix entre le oui et le non et qu'il faut départager. Généralement, le vice président vote alors oui. L'actuel a un jour voté non et on n'a toujours pas fini d'en parler (voir mon article du 19 juillet 2008 à ce sujet).
En Argentine, en fait le Vice Président assume les fonctions présidentielles à chaque fois que le chef de l'Etat est en voyage à l'étranger ou indisposé par sa santé et préside le Sénat où il ne vote que dans un seul cas, lorsque le scrutin montre une exacte égalité de voix entre le oui et le non et qu'il faut départager. Généralement, le vice président vote alors oui. L'actuel a un jour voté non et on n'a toujours pas fini d'en parler (voir mon article du 19 juillet 2008 à ce sujet).
(2) Ce thème de la non-communicabilité dans notre monde de la pseudo-communication en ligne a inspiré à Verónica Bellini un très joli tango que j'ai intégré dans ma nouvelle anthologie, qui s'intitulera bien 200 ans après, et qui va paraître d'ici quelques jours aux éditions Tarabuste (revue Triages). Verónica Bellini est la pianiste et la compositrice (autant que la parolière) du groupe musical féminin China Cruel et elle aime bien brocarder dans ses chansons les travers de notre société et de ses modes imbéciles.
(3) Carlos Menem, président de décembre 1989 à décembre 1999, a été élu sous étiquette péroniste (ce qui sous-entend un fort interventionisme d'état dans la politique économique nationale pour faire diminuer la part de l'importation et développer les activités de transformation et de manufacture sur le sol national) et a mené d'emblée une politique ultra-libérale, bling-bling au possible, avec une forte valorisation des activités spéculatives, qui a 10 ans plus tard conduit le pays à la faillite que l'on sait.
(4) Les fidèles lecteurs de Barrio de Tango qui lisent régulièrement ce blog et se régalent des vignettes de Rudy et Paz peuvent constater qu'effectivement, c'est exactement comme cela que procèdent les deux journalistes et ce qu'ils ont eu tant de mal à faire ces derniers temps avec les émeutes de Villa Soldati. Il y a eu une dizaine de jours où ils se sont bien battus les flancs, tous les deux, pour arriver à nous arracher un sourire. Devant le tragique de la situation et dans un journal aussi militant que Página/12, qui ne veut surtout faire de l'information un divertissement, le défi était difficile à relever et je n'ai jamais pu rire ouvertement de leur blague journalière pendant ces événements.