Sur le site du Luna Park
Madame Nelly Omar chantera le samedi 2 mai 2009 à 21h au Stadium Luna Park, qui est à Buenos Aires ce que le Forest National est à Bruxelles ou le Palais Omnisport de Bercy à Paris. Tout Buenos Aires en bruisse déjà. Bon nombre de personnes sont suspendues à cette date, à commencer par les représentants de la presse (les 4 grands quotidiens seront là, les télés et les radios aussi, vous pouvez en être sûr). Car comme tous les ans, à la même période de l’année, ce sera l’événement tango de l’automne. Esquina Corrientes y Bouchard...
Madame Nelly Omar (Nilda Elvira Vattuone) fêtera ses 98 ans aux fraises argentines. Elle est née en effet le 10 septembre 1911 dans la petite ville de Guamini, perdue dans la pampa en pleine Province de Buenos Aires. Elle est une chanteuse hors pair (peut-être même est-elle l’inspiratrice de la Malena de Homero Manzi), elle est une compositrice et a à son actif de très beaux tangos. Et c’est aussi une letrista (auteur de textes de chanson). De plus, c’est une militante politique hardie et intrépide, qui n’a pas craint de prendre fait et cause pour Perón dès le début des années 40, qui est restée fidèle à la cause contre vents et marées et l’a payé assez cher (interdite d’antenne et de scène à peu près partout à plusieurs reprises), à la chute du président en septembre 1955, pendant toute la Revolución Libertadora, profondément anti-péroniste (1955-1958) et pendant toutes les autres périodes qui n’ont pas manqué dans l’histoire du 20ème siècle argentin où le nom même du leader charismatique était proscrit.
Nelly Omar, la descamisada comme on l’appelle pour son combat politique (la sans-chemise, allusion aux ouvriers de l’industrie et de l’agriculture qui virent dans la politique de Perón un début de commencement de solution à leur éternelle pauvreté et à leur exploitation par un système économique toujours marqué par la colonisation). Je vous renvoie là-dessus à mes différents articles sur l’histoire complexe de l’Argentine (rubrique Quelques rubriques thématiques, dans le haut de la Colonne de droite).
Nelly Omar, la Gardel en pollera (la Gardel en jupons), dit-on encore, parce qu’elle chante comme lui, avec une voix travaillée selon les techniques du Bel Canto et qu’elle n’est accompagnée qu’à la guitare ou plus exactement que par un groupe de guitaristes et non pas un orchestre, tout comme lui... (1)
Nelly Omar est bien entendu Ciudadana Ilustre de la Ciudad de Buenos Aires (une distinction attribuée par la Legislatura de la Ville de Buenos Aires et qui s’apparente plus à la réception au plus haut grade d’une décoration nationale qu’à nos citoyennetés d’honneur européennes, sitôt remises, sitôt oubliées).
Nelly Omar, il faut l’imaginer grâce aux vers de Homero Manzi, qui l’aima et en fut aimé d’un amour malheureux, parce que doublement adultère et maudit par la mort prématurée du poète (1907-1951) (2).
Malena canta el tango como ninguna
y en cada verso pone su corazón.
A yuyo del suburbio su voz perfuma,
Malena tiene pena de bandoneón.
Tal vez allá en la infancia su voz de alondra
tomó ese tono oscuro de callejón (3)
Homero Manzi
Malena chante le tango comme aucune autre
et dans chaque vers elle met tout son coeur.
Sa voix fleure bon l'herbe folle du faubourg
Malena a un chagrin de bandonéon.
Peut-être là-bas, dans l'enfance, sa voix d'alouette
a pris ce ton ténébreux du ruisseau...
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Et puis Madame Nelly Omar, il faut se taire et l’écouter :
Ici dans Manoblanca (Antonio de Bassi et Homero Manzi), enregistré en 1941, avec l'ensemble de guitares de José Canet. Et dans Amar y Callar (aimer et se taire), dont elle a écrit la letra (la musique est de José Canet) toujours sur Todo Tango.
Et la regarder ici, quand elle chanta pour la première fois à Paris, en 2000, au théâtre de Chaillot, avec El Arranque, présentée par Ignacio Varchausky lui-même. Elle y récite même, dans notre langue, un vers de Victor Hugo.
Ici au Luna Park, chantant Era en otro Buenos Aires, un hommage à tous les grands du tango des années 30 et 40.
Ici, chantant Sur, un tango immortel de Homero Manzi et Aníbal Troilo, (avec des sous-titres en anglais... ça nous fait une belle jambe, à nous, les francophones !)
Ici, enfin, interprétant, en final d’un tour de chant au Luna Park, la valse de Rosita Melo, Desde el Alma, avec le texte écrit par Homero Manzi (Nelly Omar en est une des meilleures interprètes).
Alors oui, les places ne sont pas données. Oui, il faut même que les Portègnes (pas les touristes de l’hémisphère nord) se saignent aux quatre veines pour s’offrir le luxe d’aller écouter Nelly Omar au Luna Park ce soir-là. Mais 1) les patrons du Luna Park n’ont jamais été des philanthropes (le Luna Park, c’est d’abord un stade pour les combats de boxe). Et 2) ça n’empêchera pas que Madame Nelly Omar chantera à guichet fermé le 2 mai 2009 comme tous les ans. Au Luna Park...
(1) Sur cette légende vivante, voir dans mon récent article sur Fractura Expuesta les blagues de potache distillées par Germán Marcos et Maximiliano Senkiw dans leur vrai-faux flash d’info (émissions n° 260 et 259)
(2) Callejón : la petite impasse pauvres de faubourg, où vivent les membres des classes populaires citadines à l'époque où est écrit ce texte (1941)
(3) mais elle s’en cacha et même nia la chose très longtemps. Sans doute par respect humain. Tant qu’a vécu Doña Casilda Iñiguez de Mancione, la femme légitime d’Homero Manzi, décédée en 1992, dont le poète ne voulut jamais divorcer, malgré la situation invivable à laquelle le réduisait sa double allégeance sentimentale.
Madame Nelly Omar chantera le samedi 2 mai 2009 à 21h au Stadium Luna Park, qui est à Buenos Aires ce que le Forest National est à Bruxelles ou le Palais Omnisport de Bercy à Paris. Tout Buenos Aires en bruisse déjà. Bon nombre de personnes sont suspendues à cette date, à commencer par les représentants de la presse (les 4 grands quotidiens seront là, les télés et les radios aussi, vous pouvez en être sûr). Car comme tous les ans, à la même période de l’année, ce sera l’événement tango de l’automne. Esquina Corrientes y Bouchard...
Madame Nelly Omar (Nilda Elvira Vattuone) fêtera ses 98 ans aux fraises argentines. Elle est née en effet le 10 septembre 1911 dans la petite ville de Guamini, perdue dans la pampa en pleine Province de Buenos Aires. Elle est une chanteuse hors pair (peut-être même est-elle l’inspiratrice de la Malena de Homero Manzi), elle est une compositrice et a à son actif de très beaux tangos. Et c’est aussi une letrista (auteur de textes de chanson). De plus, c’est une militante politique hardie et intrépide, qui n’a pas craint de prendre fait et cause pour Perón dès le début des années 40, qui est restée fidèle à la cause contre vents et marées et l’a payé assez cher (interdite d’antenne et de scène à peu près partout à plusieurs reprises), à la chute du président en septembre 1955, pendant toute la Revolución Libertadora, profondément anti-péroniste (1955-1958) et pendant toutes les autres périodes qui n’ont pas manqué dans l’histoire du 20ème siècle argentin où le nom même du leader charismatique était proscrit.
Nelly Omar, la descamisada comme on l’appelle pour son combat politique (la sans-chemise, allusion aux ouvriers de l’industrie et de l’agriculture qui virent dans la politique de Perón un début de commencement de solution à leur éternelle pauvreté et à leur exploitation par un système économique toujours marqué par la colonisation). Je vous renvoie là-dessus à mes différents articles sur l’histoire complexe de l’Argentine (rubrique Quelques rubriques thématiques, dans le haut de la Colonne de droite).
Nelly Omar, la Gardel en pollera (la Gardel en jupons), dit-on encore, parce qu’elle chante comme lui, avec une voix travaillée selon les techniques du Bel Canto et qu’elle n’est accompagnée qu’à la guitare ou plus exactement que par un groupe de guitaristes et non pas un orchestre, tout comme lui... (1)
Nelly Omar est bien entendu Ciudadana Ilustre de la Ciudad de Buenos Aires (une distinction attribuée par la Legislatura de la Ville de Buenos Aires et qui s’apparente plus à la réception au plus haut grade d’une décoration nationale qu’à nos citoyennetés d’honneur européennes, sitôt remises, sitôt oubliées).
Nelly Omar, il faut l’imaginer grâce aux vers de Homero Manzi, qui l’aima et en fut aimé d’un amour malheureux, parce que doublement adultère et maudit par la mort prématurée du poète (1907-1951) (2).
Malena canta el tango como ninguna
y en cada verso pone su corazón.
A yuyo del suburbio su voz perfuma,
Malena tiene pena de bandoneón.
Tal vez allá en la infancia su voz de alondra
tomó ese tono oscuro de callejón (3)
Homero Manzi
Malena chante le tango comme aucune autre
et dans chaque vers elle met tout son coeur.
Sa voix fleure bon l'herbe folle du faubourg
Malena a un chagrin de bandonéon.
Peut-être là-bas, dans l'enfance, sa voix d'alouette
a pris ce ton ténébreux du ruisseau...
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Et puis Madame Nelly Omar, il faut se taire et l’écouter :
Ici dans Manoblanca (Antonio de Bassi et Homero Manzi), enregistré en 1941, avec l'ensemble de guitares de José Canet. Et dans Amar y Callar (aimer et se taire), dont elle a écrit la letra (la musique est de José Canet) toujours sur Todo Tango.
Et la regarder ici, quand elle chanta pour la première fois à Paris, en 2000, au théâtre de Chaillot, avec El Arranque, présentée par Ignacio Varchausky lui-même. Elle y récite même, dans notre langue, un vers de Victor Hugo.
Ici au Luna Park, chantant Era en otro Buenos Aires, un hommage à tous les grands du tango des années 30 et 40.
Ici, chantant Sur, un tango immortel de Homero Manzi et Aníbal Troilo, (avec des sous-titres en anglais... ça nous fait une belle jambe, à nous, les francophones !)
Ici, enfin, interprétant, en final d’un tour de chant au Luna Park, la valse de Rosita Melo, Desde el Alma, avec le texte écrit par Homero Manzi (Nelly Omar en est une des meilleures interprètes).
Alors oui, les places ne sont pas données. Oui, il faut même que les Portègnes (pas les touristes de l’hémisphère nord) se saignent aux quatre veines pour s’offrir le luxe d’aller écouter Nelly Omar au Luna Park ce soir-là. Mais 1) les patrons du Luna Park n’ont jamais été des philanthropes (le Luna Park, c’est d’abord un stade pour les combats de boxe). Et 2) ça n’empêchera pas que Madame Nelly Omar chantera à guichet fermé le 2 mai 2009 comme tous les ans. Au Luna Park...
(1) Sur cette légende vivante, voir dans mon récent article sur Fractura Expuesta les blagues de potache distillées par Germán Marcos et Maximiliano Senkiw dans leur vrai-faux flash d’info (émissions n° 260 et 259)
(2) Callejón : la petite impasse pauvres de faubourg, où vivent les membres des classes populaires citadines à l'époque où est écrit ce texte (1941)
(3) mais elle s’en cacha et même nia la chose très longtemps. Sans doute par respect humain. Tant qu’a vécu Doña Casilda Iñiguez de Mancione, la femme légitime d’Homero Manzi, décédée en 1992, dont le poète ne voulut jamais divorcer, malgré la situation invivable à laquelle le réduisait sa double allégeance sentimentale.