samedi 11 décembre 2010

Lynchage d'un blessé par balle à Villa Soldati [Actu]

Ajout du 14 décembre 2010 : voir également mon article du 14 décembre 2010 sur les incertitudes concernant la réalité de ces faits épouvantables mais qui sont peut-être une supercherie.

C'était un jeune homme de 19 ans. Peut-être était-ce un petit caïd odieux. Peut-être était-ce un brave ouvrier paisible. On n'a publié ni son nom ni sa nationalité, même s'il s'agit d'un majeur selon la loi argentine (majorité à 18 ans depuis un peu plus d'un an).

Il a été blessé par balle lors de nouveaux affrontements à Parque Indoamericano, dans le sud de la ville de Buenos Aires. Un groupe qui paraissait être une unité organisée s'est attaqué aux occupants du campement de fortune installé dans le parc. La Police métropolitaine, qui dépend du Gouvernement Portègne (la Police Fédérale n'intervient plus depuis avant-hier) a laissé faire ou s'est abstenue d'intervenir, ce qui revient au même dans les faits. Il y a eu quatre blessés par balle parmi les occupants du parc, qui ont cherché à se défendre et à empêcher cette bande armée de les déloger, et deux blessées parmi les forces de l'ordre, toutes deux officiers de police. L'un des blessés du Parc a été pris en charge par une ambulance du SAME, le service sanitaire médical d'urgence (emergencia en espagnol), mais l'ambulance a été arrêtée par le groupe armé. L'un des membres a mis en joue le chauffeur, qui a immobilisé le véhicule.

Selon le directeur du SAME, la porte de l'ambulance a aussitôt été ouverte, le blessé extirpé de l'ambulance et ensuite roué de coups sur la chaussée. Selon un médecin qui se présente comme un témoin oculaire des faits, le jeune garçon a été achevé d'une décharge d'arme à feu dans la tête au moment pendant que les assaillants l'extirpaient du véhicule et son corps, sans doute déjà sans vie, a ensuite été jeté sur la chaussée.

Les photos du jeune homme gisant à terre, la tête et le visage ensanglantés, sont à la une de la plupart des journaux, sauf Página/12 qui préfère la sobriété d'une manchette au titre choc et un gros titre qui cite la Présidente hier ("Cela n'est pas arrivé par hasard"). Sur les photos, la victime est entourée de témoins, fascinés, au regard où la crainte le dispute à la curiosité malsaine. Parmi eux un jeune adolescent, qui n'a l'air de n'avoir même pas 15 ans. Personne n'est près du mort pour le pleurer ni même pour le toucher. Peut-être parce qu'il était sans famille proche à Buenos Aires. Son visage présente des traits indiens, il était peut-être péruvien, paraguayen, bolivien ou colombien. Il aurait pu tout aussi bien venir du nord de l'Argentine...


Cela se passait hier, dans le sud de la Ville Autonome de Buenos Aires, le 10 décembre, jour international des Droits de l'Homme, anniversaire du retour de la Démocratie en Argentine (1983), après la tenue de propos clairement xénophobes par le Chef du Gouvernement de Buenos Aires, Mauricio Macri, contre les immigrés boliviens majoritaires dans le campement du Parque Indoamericana (dont j'ai parlé hier sur ce blog) et alors que, dans un salon de la Casa Rosada, la Présidente Cristina Fernández de Kirchner venait de déclarer qu'elle ne voulait pas que l'Argentine rejoigne "le club des pays xénophobes".

Le médecin du SAME qui s'occupait du jeune blessé dans l'ambulance a lui-même été hospitalisé en état de choc après les événements.

Les affrontements, façon avec des techniques d'Intifada palestinienne, ont continué dans un paroxysme de violence physique et des cris de haine de tout côté, non seulement de la part des Argentins contre les immigrés de fraîche date et réciproquement mais aussi de la part d'autres immigrés, arrivés il y a plus longtemps et réclamant eux aussi à grands cris la reconduite à la frontière par la force des immigrés de fraîche date. Même le club de foot du quartier de Villa Soldati écrit en page d'accueil de son site des phrases écoeurantes sur les squatteurs du parc, qu'il accuse de vouloir s'emparer des installations du Club et qu'il traite d'okupas (occupants, avec une orthographe à relents nazis). Il faut dire aussi que les clubs de quartier, qui ne sont pas que des clubs de foot d'ailleurs, sont tenus par des hommes très puissants, très riches et qui ne sont pas dénués d'ambitions politiques (Macri a longtemps été président du Boca Juniors avant d'être élu à la tête de Buenos Aires et il est connu qu'il a conservé des liens avec les groupes de hooligans dont il se servait comme d'un service d'ordre les soirs de match. Et les soirs sans match aussi). Une bande de hooligans du club Huracán se sont quant à eux constitués prisonniers après avoir été reconnus sur des images vidéos parmi des assaillants armés, lors des affrontements des jours précédents.

Une vue du Parque Indoamericano, bordé par les maisons des Argentins et des immigrés de longue date, et plus loin la Buenos Aires des beaux quartiers et des classes moyennes avec tout au fond les immeubles tarabiscotés du bord du Rio de la Plata.
Photo German Garcia Adrasti pour Clarin.

Mauricio Macri, comme toujours, rejette la faute sur les autres, en l'occurrence sur le Gouvernement qui a refusé de lui prêter l'aide à nouveau de la Police Fédérale, après le premier incident mortel de mercredi dans le bidonville portègne Villa 20, où Police Fédérale et Police Métropolitaine tentaient ensemble de rétablir le calme et où des tirs, encore non identifiés, sont partis qui ont fait plusieurs blessés et deux morts étrangers. Or on sait que la Police Métropolitaine est infiltrée par des voyous, les journalistes et la justice ont pu établir qu'il y a eu, au moins par le passé, depuis un an que ce corps existe, des repris de justice parmi les hommes du rang et les gradés (il a été démontré qu'au moins un commissaire avait un casier judiciaire crapuleux). On comprend donc que le Gouvernement ne veuille plus que la Police Fédérale risque à nouveau d'être entraînée dans des agissements illégaux. En tout cas, des témoins affirment qu'hier la Métropolitaine n'a pas fait un geste pour tenter de rétablir le calme, contrairement à avant-hier où un journaliste de Página/12 avait entendu au moins un policier tenter de raisonner un riverain de la zone qui hurlait des insanités aux immigrés du parc en face de chez lui.

Le Présidente, tout de noir vêtue à nouveau, a annoncé la création d'un Ministère de la Sécurité, qu'elle a immédiatement confié à Nilda Garré, l'actuelle Ministre de la Défense. Julio Alak perd donc cette partie de son portefeuille et garde uniquement la Justice.

A minuit passé, le Chef de l'Etat a convoqué une réunion des acteurs impliqués dans le conflit, dont Macri, son ministre de la sécurité Montenegro, les organisations sociales du quartier de Villa Soldati pour trouver une solution. Cette réunion a duré trois heures et elle n'a abouti à aucun accord entre les parties qui doivent toutefois se revoir cet après-midi.

Hier pourtant, un juge de Buenos Aires, Roberto Gallardo, qui a toujours marqué son indépendance vis-à-vis de Macri (souvenez-vous, c'est lui qui lui avait tenu tête en faisant éteindre le panneau lumineux géant à côté de l'Obélisque pendant l'hiver, voir mes articles du 19 juin au 12 juillet 2010 à ce propos), proposait déjà des mesures pour rétablir la cohabitation pacifique dans le secteur : mettre en place des accès à l'eau potable pour les occupants du campement, installer des WC chimiques en nombre suffisant, organiser l'évacuation des déchets, toutes mesures logistiques dont l'absence cause un énorme problème de salubrité publique et explique (sans le justifier) l'emploi d'insultes d'une vulgarité sans fond par les riverains (voir mon article d'hier sur les événements), bref tout ce que la Fondation Madres de Plaza de Mayo cherchait elle aussi à réaliser jusqu'à l'expulsion, ordonnée par un autre juge, mercredi dernier.

Alors bien sûr aujourd'hui, c'est la Fête nationale du Tango mais avouez qu'elle a un goût amer... surtout en cette année du Bicentenaire où elle aurait dû être plus belle encore que les autres années.
Pour cette raison, parce que je suis accablée devant ce degré insensé de violence, très probablement manipulée à des fins bassement politiciennes (1), et pour exprimer ma solidarité personnelle avec mes amis portègnes qui doivent être au 36ème dessous (con el animo bajo cero, comme ils disent eux), en voyant cela, je reporte à un autre jour et l'article que j'aurais écrit en d'autres circonstances sur le plan de développement de l'industrie automobile argentine annoncé aujourd'hui par le Gouvernement (qui a l'air d'être une idée toute simple et excellente) et celui que je m'apprêtais à publier dans mes Chroniques de Buenos Aires (voir le raccourci en partie haute de la Colonne de droite) sur la présentation que j'ai faite de mon livre, Barrio de Tango, le 3 septembre dernier au Museo Casa Carlos Gardel avec le poète Luis Alposta à mes côtés (2).

Pour aller plus loin :
Lire l'article de Página/12 sur les affrontements et le lynchage de ce jeune anonyme
La rédaction de Página/12 est si secouée par les événements que les journalistes qui s'occupent du site se sont embrouillé les pinceaux ce matin dans les liens (quand vous cliquez sur l'article de Une, vous tombez sur un interview d'un poète et mathématicien français qui figurait déjà, si je ne m'abuse, hier matin dans les pages culturelles. Je ne vous donne donc pas le lien avec l'article principal. Il faudra attendre les rectifications demain ou après-demain si elles se font).
Lire l'article de La Nación, qui, après avoir renvoyé dos à dos hier Cristina Fernández et Mauricio Macri, préfère tout de même aujourd'hui publier un réquisitoire contre la Police Fédérale, qui n'était pas là et qui par conséquent n'y est pour rien, et rester silencieux sur la Métropolitaine.

(1) Il serait étonnant que ce petit groupe homicide soient d'authentiques habitants argentins du quartier. Il faut une sérieuse organisation, un plan d'action bien préparé et un rapport très singulier à la violence pour pointer une arme sur le chauffeur d'une ambulance qui roule, ouvrir les portes et abattre un blessé déjà en cours de soin et physiquement à quelques centimètres de soi. On n'a pas eu affaire selon les témoignages à un mouvement de foule irraisonnée et prise de panique mais bien à l'action d'un petit groupe. Or on sait que Macri est soupçonné d'avoir monté une milice privée qui s'en prenait physiquement il y a encore un an aux sans-abris, la nuit, pour semer la terreur parmi eux et les faire fuir hors de la ville (il devait comparaître là-dessus devant un juge d'instruction hier). On connaît les méthodes musclées qui ont toujours été utilisées en Argentine contre les indigents par cette droite ultra-libérale à laquelle Macri s'est clairement référée avant-hier en prononçant ce discours xénophobe (la Generación del 80, voir mon Vademecum historique sur ce point de l'histoire politique argentine de la jonction entre 19ème et 20ème siècle, dans la rubrique Petites chronologies de la partie centrale de la Colonne de droite). Nul ne peut plus ignorer le scandale des écoutes téléphoniques illégales au détriment des victimes de l'attentat de l'AMIA auquel est aussi mêlé Mauricio Macri. On se rappelle la violence de la Junte militaire qui appliquait une politique favorable aux intérêts des Etats-Unis avant de considérer l'intérêt du pays lui-même. On sait enfin que le juge Roberto Gallardo avait dès hier fait des propositions raisonnables et intelligentes qui aurait ou permis ou, au moins, facilité le retour au calme et à la paix civile sur place parce qu'elles pouvaient être acceptées par les parties en présence et que Macri a des comptes à régler avec lui. Dans ces conditions, il faudrait être naïf pour croire que de paisibles Argentins pauvres sont soudain devenus des bêtes fauves simplement parce que le soleil leur a tapé sur la tête dans des remugles de cuisine bolivienne et de fosses d'aisance...
(2) J'avais attendu jusqu'à aujourd'hui pour marquer, à ma façon, le Día Nacional del Tango (la fête nationale du tango) qui se célébre aujourd'hui et qui est aussi l'anniversaire de naissance de Carlos Gardel, 120 ans aujourd'hui, Gardel dont l'esprit (el duende o el fantasma) m'avait si aimablement accueillie il y a trois mois dans ce patio à la simplicité émouvante, grâce à Horacio Torres, le directeur du Musée. Ce sera une autre fois. Je garde les photos et les commentaires pour un autre jour, moins endeuillé.